Mon nez
La caractéristique qui me définit quand je peins un autoportrait est ma manière de représenter mon visage avec un nez droit et pointu, type qui perdura de nombreuses années dans la peinture flamande. Sur une toile titrée “Le Carnaval”, je peignis le bas de mon masque en le faisant reposer à mi-chemin entre le dessous du nez et le haut de ma lèvre supérieure. Autrement dit, mon front, légèrement arqué, continue doucement vers mon nez bien défini, droit. Front et nez construisant un angle “toboggan” dirais-je, dans mon profil au niveau des sourcils. Je n’oublie pas être née de parents experts en langue de bœuf sauce gribiche, comme en lapin à la moutarde, et je m’étais vue très jeune autorisée à plonger mon nez dans les vins tout droit sortis de la cave paternelle. Depuis que je m’étais cognée la tête contre un fût, ce qui me causa une hémorragie des narines, les deux orifices de vidange situés dans mon nez se débouchèrent, dès lors, comme par magie je pouvais capter à mille lieues tout ce qui était résineux et dégageait le délicieux arôme du caramel.
Mes mains
Il n’est pas lieu ici de vanter la beauté de mes mains ni la douceur de leur peau, cela ferait rougir la carnation fragile de leur jeunesse, ni d’estimer à une trop grande valeur la paume de ma main gauche où ma vie si étonnante est résumée en signes secrets, ni de s’apesantir sur ma main droite dont on a dit que ses formes sublimes ont être taillées par les plus purs ciseaux d’un statuaire grec, ni de présenter mes doigts fuselés de façon élogieuse, bien que leur spécificité sensuelle les rendent plus caressants qu’un gant de soie qui ne saurait rivaliser. Mes mains, en se lavant, se rendent des services si réciproques que les hommes de ma vie ne se sont jamais plaints d’avoir été si bien massés, pétris et palpés de bas en haut, au point qu’ils couvrent mes mains de désignations flatteuses en les tenant embrassées avec une telle force qu’à mes mains, il leur faut être deux, pour les dissuader d’applaudir bêtement en battant le rappel, mais c’est sans compter qu’ils ne savent pas tenir leur langue. Qu’y puis-je ?
Mes doigts
Quand je suis assise derrière mon piano à queue, je mets un doigt sur la bouche pour demander le silence, et quand je passe un anneau à un autre doigt, aussitôt une voix aimable m’indique avec quel doigt je dois jouer la note suivante. Mais en ce moment je suis trop faible pour pouvoir jouer une valse viennoise car je suis légèrement blessée au niveau de l’auriculaire. Heureusement, en connaissant par cœur la partition, je n’arrête pas mon regard à la pointe de ce doigt que j’ai voulu effilé en lui mordant son ongle jusqu’au sang ; je regarde au delà, vers les étoiles.